À Brest, l’école Diwan du Guelmeur a démarré en 2019 une réflexion féministe sur les pratiques de l’établissement. L’équipe pédagogique observait que le foot était essentiellement joué par les garçons au centre de la cour. Les filles étaient en périphérie, avec la crainte de se prendre un ballon sur la tête. Aujourd’hui, la limitation du foot à certaines récrés amène les enfants à se rassembler pour de grands jeux collectifs, plus inclusifs. C’est un des actes concrets, dans une démarche plus large, d’une école en mouvement.
Une utilisation de l’espace de la cour plus équilibrée
Nous sommes jeudi. C’est l’heure de la récré du matin. Les enfants jouent à « Épervier passé », le jeu du moment. Il y a quelques semaines, c’était « Poule, renard, vipère ». La semaine prochaine, ce sera sans doute au loup, ou au chat. « Le ballon est autorisé pour certaines récréations des lundi et mardi, avec un roulement entre le hand, le rugby, le basket et le foot. » explique Goulc’hen Biger, le directeur de l’école. « Depuis que le foot est limité, nous constatons une utilisation plus équilibrée de l’espace de la cour. Les retours en classe sont aussi plus faciles, car il fallait parfois gérer l’énervement de petits garçons qui avaient du mal à gérer leur frustration après une partie de foot qui ne s’était pas passée comme ils l’auraient souhaité. »
L’utilité d’une formation même pour les plus féministes
Goulc’hen Biger, le directeur de l’école, a lui-même fait des études de sociologie sur la question de l’égalité entre filles et garçons dans les politiques publiques. Lorsqu’il est arrivé au poste de directeur des écoles Diwan Guelmeur et Kerrangoff, d’autres enseignants étaient déjà très sensibilisés à la question féministe.« Mais même lorsqu’on se pense féministe, on a du mal à déconstruire la manière dont on voit le monde. Il y a évidemment les pratiques sexistes qui posent de gros soucis, comme les qualités prêtées aux garçons ou aux filles dans les livres, mais il y a aussi une multitude de pratiques, comme la prise de parole et bien d’autres, que l’on ne voit pas toujours. On a donc fait appel à une sociologue, Oriane Amalric, rencontrée grâce à la ville de Brest. Elle nous a accompagnés dans notre démarche. De fil en aiguille, c’est une démarche d’amélioration de l’inclusion. »
« Chausser les lunettes du genre »
Oriane Amalric est sociologue des genres et sociologue des migrations. Elle intervient notamment dans les milieux scolaires, en proposant aux professionnels d’observer leurs pratiques en s’appuyant sur des grilles. « C’est ce qu’on appelle « chausser les lunettes du genre ». Cela aide à aiguiser le regard. » Chacun regarde différemment les espaces, la cour, mais aussi les couloirs, les toilettes, les outils pédagogiques, la prise de parole, etc. « Pour les toilettes par exemple, c’est intéressant de se poser la question de pourquoi on sépare les garçons et les filles. Au collège, on note que les élèves préféreraient des toilettes par groupes de niveau. » explique Oriane Amalric.
Genrée, la cantine ?
« On peut prendre l’exemple du dimorphisme sexuel. On a des représentations des corps assez biaisées. Il n’y a aucune raison que les filles soient plus petites ou les hommes plus grands. Pendant la préhistoire, les femmes allaient aussi à la chasse et les hommes s’occupaient des enfants. Je vous conseille tout le travail de l’anthropologue Françoise Héritier, et celui de Priscille Touraille…L’une des hypothèses est qu’il y a eu une différence de nourrissage pendant plusieurs milliers d’années. Avec cette phrase « mange, il faut que tu prennes des forces », que l’on dit plus aux garçons qu’aux filles, on a un exemple de comportements genrés à la cantine. » poursuit Oriane Amalric.
La sociologue directrice de » A portée de vue »est aussi intervenue dans l’autre site de l’école Diwan de Brest à Kerangoff et travaille dans des recherches-actions dans bien d’autres établissements. A Diwan Guelmeur, Goulc’hen Biger, le directeur de l’école se rappelle que la remise en cause du foot dans la cour de récréation ne s’est pas passée facilement : « J’ai même été personnellement mis en cause par une maman qui m’accusait de la souffrance de son fils. Le changement n’est pas simple. Mais, nous sommes dans une dynamique d’inclusion, d’interrogation. Bref, nous sommes en mouvement. «
1er mars 2024
L’idée d’interviewer Goulc’hen Biger, le directeur de l’école Diwan Brest et la sociologue Oriane Amalric, découle du visionnage du premier épisode de la mini série réalisée par Anne Gouérou pour France 3 Bretagne :