
Dépolluer notre planète en utilisant des mèches de cheveux ? C’est l’idée de Thierry Gras, fondateur de l’association « Les Coiffeurs Justes », qui œuvre depuis 2015 à la création de boudins capables d’absorber les hydrocarbures, à base de cheveux récoltés dans plus de 6 000 salons en France. Son association se révèle être un formidable modèle d’économie circulaire à soutenir, et surtout à reproduire. Après avoir lu cet article, on parie que vous allez inciter votre coiffeur à rejoindre ce réseau, s’il n’y participe pas déjà.
Un système d’économie circulaire bien rodé
Comment ça marche ? L’association récupère des mèches de cheveux coupés, en collaboration avec Écofhair (entreprise spécialisée dans la dépollution à base de cheveux) et les adresse à des centres d’insertion qui fabriquent des boudins à partir de bas de contention recyclés, fournis directement par les hôpitaux des régions concernées. Pour ce qui est de la
fabrication des boudins, Thierry explique : « On a fait en sorte que les employés des centres
d’insertion soient payés à la hauteur de leur main-d’œuvre et pas à 1 euro de l’heure. » C’est la preuve,
selon lui, que ce genre de système peut fonctionner en autonomie et sans subvention de l’État. Les boudins sont par la suite utilisés dans les cales de bateaux afin de limiter la pollution de l’eau. En effet, les 4,7 millions de bateaux en France rejettent un million de litres d’hydrocarbures chaque année dans la mer, « soit l’équivalent d’une marée noire », insiste Thierry.

Mais ce n’est pas le seul pouvoir du cheveu : l’association se diversifie et collabore aussi avec Sol-Hair, qui fabrique des panneaux isolants respectueux de l’environnement à base de cheveux. Le dirigeant de l’association pense même que les cheveux pourraient être utilisés dans l’avenir pour dépolluer nos sols.
Le cheveu déjà utilisé il y a 5000 ans pour l’isolation
Comme celui de nombreux autres matériaux organiques, nous avons perdu l’usage du cheveu dans nos sociétés modernes. « Le cheveu est lipophile, c’est-à-dire qu’il retient les substances grasses »,explique Thierry Gras. « Son utilisation a été complètement perdue alors qu’il a des caractéristiques exceptionnelles. » En effet, il était déjà utilisé il y a 5 000 ans par les Mongols pour l’isolation et la solidité de leurs yourtes, et jusqu’à encore il y a quelques siècles, « il était utilisé pour recoudre nos plaies ou dégraisser nos poêles », insiste-t-il. Ici, Thierry met le doigt sur un phénomène notoire : la perte de savoirs fondamentaux. Selon lui, ces savoirs sont les oubliés de nos modes de vie, qu’il nous faut retrouver pour lutter correctement contre la pollution.
« Dans le temps, les gens étaient écolos ! »
Aujourd’hui, confrontés à nos problématiques de fin d’abondance et de ressources limitées, il semble évident que nous devions piocher dans les pratiques de nos ancêtres pour bâtir une nouvelle société plus stable et qui réponde concrètement au dérèglement climatique. C’est justement ce que propose Thierry Gras : un cercle vertueux durable qui rend un déchet utile et crée de la valeur autour de lui. Tout cela, il le sait bien : « Dans le temps, les gens étaient écolos ! » Il développe de manière ironique la question du greenwashing persistant dans nos économies : « Aujourd’hui, si un entrepreneur commercialisait un mouchoir en tissu non jetable et lavable, on crierait au génie ! » Il parle ici d’une reconnexion nécessaire à nos savoir-faire et à notre environnement.
« Des citoyens qui innovent, un État absent »
« On voudrait généraliser l’utilisation des boudins et la rendre obligatoire dans les cales de bateaux, puis étendre son utilisation à tous les ports », mais pas de réponse du côté de nos politiques. « Les pouvoirs publics ne sont pas vraiment intéressés », regrette Thierry. C’est toujours « trop cher ». même si le concept s’étend grâce à la création d’autres associations, en Allemagne ou en Belgique. « Il faut que nos boudins soient utilisés et vendus pour boucler la boucle et avoir une bonne économie circulaire. » Or, les communautés de communes n’ont pas d’obligation de dépollution, donc peu sont intéressées. « On crée de l’emploi, on dépollue et on gère un déchet, pourtant, aucune réponse, ni aide de l’État. » Thierry reste cependant positif. Pour lui, l’État va finir par suivre ces innovations, « sous la pression du peuple et en particulier de la jeunesse « . À long terme, l’objectif serait « européen : l’idée est de de fédérer tous les coiffeurs d’Europe et d’étendre toujours plus cette pratique en sensibilisant la population .

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Roman Carlier Del Rio, 25 janvier 2025 |