L’Auberge des migrants à Calais : une ruche de bénévoles confrontés à des conditions humanitaires dures

Pierre Antoine Gelot, président de l’Auberge des Migrants depuis l’été 2022

Par Valérie Le Nigen. Depuis 2008, l’Auberge des Migrants tient le choc à Calais. Cette association historique de soutien aux exilés gère la « Warehouse », l’entrepôt logistique qui abrite plusieurs associations humanitaires. C’est aussi une plateforme de réflexion, d’échange, d’adaptation au terrain et à ses évolutions. Dans l’entrepôt, vous trouverez de quoi travailler en musique, dans une bonne humeur internationale : couper du bois qui sera distribué aux exilés, préparer des centaines de repas, trier du linge ou des aliments. Dehors, des bénévoles vont au contact de migrants qui vivent l’enfer. Dans le froid, le dénuement et la violence des évacuations permanentes des campements.

Des personnes engagées qui se passent le flambeau

A l’entrée de la Warehouse, des peintures sur un mur racontent l’actuelle organisation de l’Auberge des Migrants. Elle héberge sept associations ou équipes qui travaillent dans le même lieu : RCK, autrement dit Refugee Community Kitchen qui prépare et distribue des centaines de repas par jour, Utopia 56 qui assure des maraudes, une aide matérielle d’urgence, une vigilance sur les violences policières ou l’absence de secours en mer, Collectiv Aid qui distribue de la nourriture non périssable, ce qui permet aux bénévoles de RCK de souffler. Et sous l’égide directe de l’Auberge, le Woodyard, une équipe de salariés et de bénévoles qui coupe et fournit jusqu’à une tonne de bois par jour aux exilés. Parfois plus. Un endroit incroyable pour bénévoles dans une ambiance internationale et musicale.

Dans l’Auberge, on trouve aussi dans un algéco, HRO Human Rights Observers. Ces salariés et bénévoles sont sur le terrain dès qu’un camp est évacué ou lorsqu’une situation de violence leur est signalée, pour documenter, dénoncer et porter en justice « les violences d’Etat constatées sur le littoral », précise Rania, en charge de la communication d’HRO. L’ antenne calaisienne de Refugee Woman Center est aussi présente. Et derrière l’entrepôt, dans une caravane décorée d’une guirlande lumineuse, l’équipe de Channel Info Project, le nouveau nom d’Info bus, qui donne de l’info aux exilés sur le terrain, en plusieurs langues.

A l’entrée de la Warehouse, Pierre Antoine Gélot devant un mur qui raconte l’actuelle organisation de l’Auberge des Migrants.

L’Auberge des Migrants cherche de l’argent pour boucler la saison hivernale

En 2020/2021, un important financeur, Help Refugees, devenu Choose Love a changé de terrain d’engagement et quitté Calais. L’Auberge des Migrants a réussi à réorganiser la recherche financière. Une belle performance pour les dirigeants de l’Auberge, et notamment François Guennoc, militant de la première heure et président à la suite de Christian Salomé, au moment de ce tournant. » On estime que Choose Love finançait diverses actions à Calais à hauteur d’un million d’euros par an. Pour l’Auberge, il a fallu trouver en urgence 400 000 euros pour passer l’hiver 2021/2022. Et, en collaboration avec Utopia 56, nous avons réussi. » poursuit François, actuellement trésorier de l’Auberge. « Nous devons continuer à chercher de l’argent mais nous ne sommes pas inquiets pour l’avenir de la structure. »

Le conseil d’administration s’est aussi renouvelé.  » Des jeunes s’engagent. Beaucoup de dirigeants d’association ont du mal à trouver la relève. Nous, on a de la chance d’avoir des jeunes qui mettent toute leur énergie et leurs compétences dans la structure. » constate François Guennoc, qui peut être fier, avec Maya Konforti et Christian Salomé, piliers historiques de l’association, d’avoir réussi à préserver et faire évoluer l’Auberge ces huit dernières années.

Des conditions humanitaires dures

Il est 16H30 sur un parking de Calais, sous une pluie battante et glaciale. Joëlle et Aya se battent avec le vent pour monter un abri de toile, au dessus d’une distribution de repas par RCK. Des exilés transis tirent sur les poteaux et aident à l’installation. Avec Rachelle, les jeunes femmes sont les trois  » longs termes » qui portent l’action « Channel Info Project »de l’Auberge. Elles déplient une table, un panneau d’info et s’appuient sur le NAG, le Guide des Nouveaux Arrivants. Une feuille A4 actualisée tous les mois en plusieurs langues.  » Farsi, oromo, arabic, amaric, tigrigna, kurdish, german, english. » Aya parle arabe et est vite accaparée. Un exilé vient d’arriver à Calais, sans tente ni couverture. Plusieurs cherchent des téléphones ou des recharges, essentiels pour survivre. Elles travaillent calmement, comme si le froid ne les atteignait pas, montrent des plans de lieux de distribution sur leurs smartphones. Et regardent les exilés repartir dans la nuit. « Actuellement, les forces de l’ordre évacuent des campements de fortune plusieurs fois par semaine. » s’indigne Pierre Antoine Gélot, président de l’Auberge, « C’est l’enfer, avec des tentes lacérées, de la nourriture gazée. » Les bénévoles sont formés avant d’intervenir sur le terrain.

L’importance de la bienveillance entre bénévoles

D’autres travaillent dans l’entrepôt. Notamment les  » courts-termes », ceux qui s’inscrivent pour seulement quelques jours. Rika vient d’Allemagne. Elle s’est chaudement vêtue pour supporter le froid dans l’entrepôt. Elle prépare 500 sacs individuels contenant une boite de maquereaux et une compote. « Ces denrées non périssables sont distribués le week-end, » explique-t-elle en anglais, pour que les exilés aient quelque chose à manger s’ils sont éloignés de Calais par les forces de l’ordre, après une évacuation. » Un peu plus loin dans l’entrepôt, d’autres bénévoles trient des chaussures, en musique et en papotant. Une ambiance cosmopolite et chaleureuse.  » La bienveillance, la tolérance, l’écoute, les possibles remises en question sont des valeurs très importantes pour nous. » précise Pierre Antoine. Essentielles pour rester soudés, debout, solidaires.

Pour s’inscrire en bénévolat ou donner, jetez un oeil au site de l’Auberge des Migrants.

Le coin de Woodyard, une des  » équipes action » de l’Auberge qui coupe jusqu’à une tonne de bois par jour, répartis en sacs de huit kilos. Les salariés et bénévoles sont partis en distribution.
L’abri monté par l’équipe de Channel Info Project.
Une distribution sous la pluie.
Le Guide des Nouveaux Arrivants, en plusieurs langues, sur une table à l’accueil du Secours Catholique à Calais. Pour les distributions à Dunkerque, ce guide est également traduit en surani, ourdou, albanais.

12 janvier 2023. Mise à jour 20 janvier 2023.

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