La capacité d’adaptation d’Eiman, autrefois hôtesse de l’air, aujourd’hui à la tête du resto Sikbeh


À Arras, dans le Pas-de-Calais, rue des Ours, une devanture intrigue. De forme carrée,
toute vêtue de bois, avec une fenêtre et une simple porte noire, un écriteau la domine : « Sikbeh ».
C’est le restaurant d’Eiman Zieno, une réfugiée politique, autrefois hôtesse de l’air
syrienne, arrivée en France en 2014. Elle a donné à son resto le nom de Sikbeh, un plat mijoté, servi à l’assiette, qui signifie aussi un geste de partage entre voisins. Si vous franchissez la porte du Sikbeh, vous le constaterez : l’échange est certain. Car ce restaurant a aussi une dimension pédagogique pour des étrangers de toutes nationalités. Une qualité d’accueil qui a muri dans l’histoire personnelle d’Eiman Zieno.

D’abord un repas hebdomadaire pour tisser des liens

Eiman Zieno est syrienne et est arrivée en France en 2014. Il lui faut un an pour obtenir le statut de réfugiée. Les longues démarches administratives ne garantissent pas l’intégration pour autant. Si l’Office francais de l’immigration et de l’intégration (OFII) organise des cours de français obligatoires, ils sont loin d’être adaptés à chacun. Ils ne l’étaient en tout cas pas pour Eiman. De toute façon, elle s’imagine que cette situation est temporaire. Pourtant, en 2016, le contexte syrien rend concret une nouvelle réalité : la France n’est plus temporaire. Eiman n’a plus de choix : il faut s’intégrer. Elle développe alors plusieurs stratégies. D’abord à travers ses enfants : elle discute avec d’autres parents et participe activement à la vie scolaire. Ensuite par la mise en place d’un repas hebdomadaire, le jeudi. Objectifs : améliorer son français et rencontrer des habitants d’Arras. C’est en 2020, poussée par ses amis, qu’elle lance son restaurant, non sans peines question administration.

Aujourd’hui, elle intervient à la fac d’Arras


Signe qu’elle représente aujourd’hui un exemple de réussite, Eiman est invitée par l’Université d’Arras comme intervenante extérieure pour parler de son parcours.
Elle est un exemple encourageant pour les étrangers en formation Français iangue
professionelle (FLP) en spécialisation hôtellerie-restauration. Si l’idée d’un témoignage est
intéressante, Eiman veut aider de manière plus concrète. Elle propose alors de faire une
journée de stage dans son restaurant pour aider à comprendre la réalité d’un travail en France.
Pratiquer plutôt que de montrer une théorie loin d’eux. Une classe pilote est mise en place.
Une dizaine d’hommes et de femmes viennent passer dix heures au restaurant. Chacun se
voit attribuer un rôle en cuisine, en service ou au bar.

Elle est passée par là

La cohérence de sa proposition est sans équivoque. Elle est passée par là. Elle sait
que, sans aide, on ne peut pas s’en sortir. À ses yeux, il faut bénéficier d’un coup de main
pour mettre : « les pieds sur le bon chemin. Tout le monde a besoin d’aide, au moins
temporairement, mais particulièrement quand on fuit son pays pour arriver dans un
environnement complètement inconnu. Le travail est un moyen non négligeable de
permettre l’intégration dans la société.
 » Eiman croit que ce sont des ateliers comme le sien
qui encouragent à travailler, plus que de simples cours théoriques. « Il faut développer
l’insertion professionnelle pour permettre une intégration plus douce et accompagnée des
migrants. L’aide administrative, déjà peu adaptée à chacun, doit se coupler d’une aide
matérielle sur le terrain. Trouver un emploi quand on parle à peine français, que l’on a perdu
ses repères et que l’on est livré à soi-même c’est, à minima, délicat
. »

Toutes les cases d’un accueil qui fonctionne

Vous avez peut-être déjà lu « Villes ouvertes, villes accueillantes » ? Cyrille Hanappe et Élise Al Neimi, définissent le bon accueil comme celui qui permet une réelle insertion. Selon les auteurs.trices, il possède plusieurs caractéristiques : le caractère durable, l’initiative populaire et citoyenne soutenue par les services publics, l’absence de logique marchande, des aides administrativement plus souples et un appel à une multitude d’acteurs non étatiques.
Et si, en réalité, instinctivement, Eiman Zieno avait coché toutes les cases
caractéristiques d’un accueil qui fonctionne ?

Lisa Fougeirol, 2 novembre 2024

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