Shaheer ne savait pas qu’il partait en Europe

Shaheer est un jeune afghan rencontré à Paris par des bénévoles d’Utopia 56 alors qu’il était mineur étranger isolé. Est-ce que raconter l’exil peut aider à ouvrir les portes ? On tente.

Pour un monde meilleur, accueillir, c’est déjà aider à quitter la rue.

Je viens de Shalatek, dans la province de Laghman, un endroit désertique, enfermé dans les montagnes, à trois heures de marche du plateau.

Je suis le dernier enfant d’une famille de sept, avec un frère et cinq sœurs.  Je connais mon âge, parce que ma mère m’a dit que j’avais 11 ans, juste avant de mourir. Nous étions en 2011. Ma mère m’avait protégé de la violence de mon père et fait en sorte que je continue l’école. Mon père travaillait pour les talibans et avait forcé mon grand frère à quitter l’école pour se mettre aussi à leur service.

Quand j’ai eu 15 ans et demi, mon père m’a retiré de l’école pour m’envoyer au madrasa, l’école des talibans. Mon frère était fou de colère car il craignait pour ma vie.

L’enseignement des talibans : «  il faut tuer »

Pendant cinq mois, j’ai marché trois heures par jour pour aller au madrasas. Le lieu du madrasas changeait souvent. Les enseignants talibans aussi. Ils arrivaient le visage caché, posaient un tapis et nous apprenaient le coran et le maniement des armes.  Ils étaient 4 ou 5 talibans pour 13 ou 14 jeunes. Ils disaient que les étrangers allaient venir détruire l’Afghanistan, que le gouvernement est l’esclave de l’Amérique. Et qu’il fallait tuer.

Mon grand frère  Fazal Amin craignait la fin de ma formation et a décidé de quitter l’Afghanistan avec moi, avant que je ne sois envoyé à la guerre, de l’autre côté de la montagne. Il a préparé notre départ avec ma sœur, celle qui vivait encore au village avec son mari éleveur de moutons.  Ils ont contacté un passeur en grand secret, sans me mettre dans la confidence. J’ai quitté le village, sans savoir que je quittais l’Afghanistan. Sans savoir que je partais en Europe. Sans savoir que l’Europe existait.

L’argent donné à chaque frontière

On a pris un bus à Kaboul. On est passé en Iran. Pendant un mois, on a marché dans les montagnes et les déserts. Souvent, il n’y avait pas assez d’eau. Je me souviens que nous avions trouvé de l’eau très très salée. A chaque frontière, un nouveau passeur apparaissait. Il contactait ma sœur par téléphone. Il nous permettait de lui parler quelques instants et en Afghanistan, elle donnait l’argent pour la suite du voyage.

J’ai perdu mon frère en Bulgarie

Nous étions dans un camp en Bulgarie lorsqu’un passeur nous a amené dans une maison où il nous a enfermé. Puis, il est venu chercher mon frère sans explication. Je n’ai jamais revu mon frère. J’étais très secoué, je pleurais, enfermé dans cette pièce. J’étais très inquiet et j’avais faim. Ma mère me manquait.

Un autre passeur est arrivé et comme d’habitude, il m’a mis en contact avec ma sœur. Elle m’a exhorté de continuer le voyage, que mon frère se débrouillerait. Je suis passé en Serbie où plusieurs passeurs se sont succédés. Puis, en Slovénie. Le passeur a pris un billet de bus pour Tristie en Italie. Là, il y avait plein d’afghans. J’ai pris un train pour Menton.  A la gare, un policier français m’a refoulé en me demandant de reprendre un train dans le sens inverse.  J’ai fais quelques pas. Un pakistanais m’a expliqué qu’il fallait tenter de passer la frontière à pied. Il y avait pas mal de voyageurs. J’ai abordé deux jeunes français, un gars et une fille et je leur ai demandé si je pouvais passer la frontière avec eux.  Ils m’ont encadré et nous sommes passés facilement devant le même policier qui m’avait refoulé. Je pense qu’il ne m’a pas vu.

Shaheer sourit encore jusqu’aux oreilles à l’évocation de cette chance.

« Bienvenu en France ! » dit le contrôleur SNCF

A Nice, j’ai pris un train pour Paris.  Je ne savais toujours rien. Je ne savais même pas reconnaître l’anglais du français. Et comme dans chaque nouveau pays, je me demandais si j’étais arrivé. Dans le train, un contrôleur a repéré que je n’avais pas de ticket. Il ne m’a pas fait descendre. C’était un homme un peu âgé. Il m’a souhaité « bienvenu en France » et m’a incité à aller m’asseoir sur les places vides, en veillant à laisser la place si un voyageur se présentait. Arrivé gare de Lyon, un afghan m’a emmené porte de la Chapelle où j’ai rencontré Clem, une bénévole d’ Utopia 56 qui m’a confié à l’équipe spécialisée dans les mineurs : Margot, Marion, Justine, Fiona.

Shaheer n’a aucune nouvelle de sa famille. Il a été reconnu mineur isolé étranger à Paris.  Puis il a signé un contrat majeur. Il a progressé très rapidement en français et en anglais. La dernière fois que nous avons eu des nouvelles, il était en cours d’acquisition d’un bac professionnel commerce. Il est comme tout être humain, précieux pour l’humanité. « Un monde meilleur « demande l’ améliorer les conditions d’accueil de ces jeunes.

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