SEPT PELICANS SUR UNE BALUSTRADE

Un filet de fumée bleue s’échappa par la neuvième narine de Bulg quarante-deux. Une douce fragrance de pamplemousse, de miel et d’eucalyptus se répandit dans l’atmosphère. L’air s’épaissit et prit des teintes lapis-lazuli, le soleil y perçait par endroits de minuscules orifices dorés.

                  Ferdinand cligna des yeux.

                  Bulg fit de même avec ses dix-sept paupières, s’efforçant par là de créer une proximité avec son interlocuteur.

                  Ferdinand était assis dans un fauteuil terrien dont les quatre pieds étaient vissés au sol. Une table antique en papier recyclé les séparait. Bulg était resté debout. Il avait simplement verrouillé les articulations de ses jambes, son tronc massif caparaçonné d’un mélange d’os et d’écailles reposait à l’horizontale. Au bout de son cou rétractable, sa tête dodelinait dans les effluves du narguilé monumental qu’on avait installé à son intention.

                  « Je suis honoré de la rapidité avec laquelle vous m’avez consenti ce rendez-vous, Ferdinand. Je vous en remercie. »

Ferdinand inclina sa petite tête auréolée de boucles grises. Au centre, son crâne lisse et brillant ressemblait à un œuf de coléoptgrue.

                  «  C’est tout à fait normal mon cher Bulg. Après un voyage aussi éprouvant que le vôtre !»

                  Bulg était tendu.

                  Il avait parcouru huit galaxies en utilisant un procédé coûteux réservé aux chefs d’Etat. Ce procédé consistait à voyager non pas à la vitesse de la lumière – il lui eût fallu quarante-trois-mille deux cents années pour atteindre sa destination – mais à la vitesse de l’esprit. Plus rapide, la propulsion par la pensée présentait néanmoins quelques inconvénients : en accroissant drastiquement la quantité et la puissance des ondes cérébrales, elle occasionnait un stress sévère chez les voyageurs. Le narguilé d’accueil était une coutume intergalactique destinée à recouvrer progressivement les esprits qu’on avait perdus dans sa course.

                  «Permettez-moi d’insister. Votre planète possède l’écosystème le plus vibrant et le modèle de société le plus estimé de toutes les galaxies. C’est vraiment un honneur.

– Vous exagérez, Bulg !

– Pas du tout. Et si je suis là, c’est pour mieux appréhender cette civilisation et son mode de gouvernance que le reste de l’univers vous envie.

– J’ai cru comprendre que vous cherchiez conseil, en effet. Bulg inclina humblement son tronc vers l’avant. Ma visite n’est pas fortuite.»

                  A plusieurs reprises, durant son trajet, il s’était demandé si son voyage n’était qu’un aller simple. Bulg ne pouvait admettre devant le représentant des continents terriens qu’il était peut-être déjà trop tard. Il émit un sifflement triste.

                  «Je suis à votre écoute, Bulg, dites-moi ce qui vous amène.

– Bien. Je dois avouer que les choses ne se passent pas très bien sur Suk depuis quelque temps. Nous rencontrons, comment dire, un certain nombre de perturbations.

– J’ai eu quelques échos de la situation, en effet.

– Des problèmes de ressources. Aggravés par une dégradation de nos conditions de vie. Conjuguées, elles-mêmes, à de fortes tensions.

– Oui.

– Des tensions géopolitiques croissantes dans un environnement perturbé par nos activités…Tout cela n’est pas sans vous rappeler quelque chose, n’est-ce pas ?

– Nous avons connu cela sur Terre, par le passé. Tout à fait.»

                  Bulg inhala une nouvelle bouffée bleue. Des bulles replètes butèrent contre les parois de verre du narguilé. 

                  « Disons que nous ne sommes pas sereins en ce moment, nous autres chefs de gouvernements sukiens. Nos Etats sont instables, nos scientifiques dévorés par l’inquiétude. Bref, nous craignons….

– Vous craignez ?

– Nous envisageons la possibilité… à un horizon de dix, peut être quinze ans, d’une…extinction de la sukité.

– Je vois. C’est très préoccupant !»

Un silence s’installa. La fumée s’était dissipée. Bulg, cherchant ses mots, observa le paysage à travers la fenêtre. La vue, dans le prolongement de la terrasse, était complètement dégagée. Une montagne en forme de pain de sucre, couverte de végétation, enfonçait ses flancs abrupts dans l’océan. Au loin scintillait la coque d’un bateau à voile et, à travers l’eau translucide, il aperçut la silhouette paisible d’un cachalot.  Une nuée de mouettes rieuses découpa le ciel à coups d’ailes pointues.

« Ici, tout semble à sa place, murmura-t-il. Tout est paisible et subtilement équilibré sur Terre. 

– Cela n’a pas toujours été le cas, vous le savez.

– C’est pour cette raison que j’ai besoin de vos lumières. Je sais dans quels abîmes de désespoir se trouvait plongée l’Humanité, il y a sept cents ans. Tout semblait prédire sa fin. Vous avez frôlé la catastrophe mais vous vous en êtes sortis. Au risque de me répéter, c’est ce qui m’a conduit jusqu’à vous.

– Bien entendu.

– J’ai besoin de savoir comment vous avez pu transformer votre destin.

– Mais ce qui a fonctionné pour nous…

– … ne fonctionnera peut-être pas sur Suk. J’en suis conscient. Comprenez-moi ! » Bulg hésita quelques instants puis siffla :  « Vous êtes notre dernière chance ! »

         Ferdinand baissa les yeux, examina ses pieds nus, ses mains noueuses posées sur sa robe de bure.

                  « Soit. » Il se tut quelques instants, puis reprit : « Vous n’êtes pas le premier, Bulg. Il vaut mieux que vous le sachiez : d’autres sont venus avant vous, monnayer un remède à tous leurs maux. Maux dont ils étaient tant les victimes que les auteurs. En repartant avec une clé qui n’ouvrait qu’une seule serrure, ils n’ont pas pu échapper à leur sort. Je ne vous apprends rien. Chaque civilisation détient la solution à ses propres problèmes. Et cette solution vous l’obtiendrez par l’observation de votre environnement et toute une série de déductions peut-être logiques, peut-être purement intuitives, propres à Suk. Je veux bien vous expliquer ce qui nous est arrivé ; comment, en désespoir de cause, il nous est venu l’idée de changer un minuscule paramètre et pourquoi cette infime modification a permis de remettre tous nos écosystèmes en place, de sauver notre planète de notre sottise et l’humanité de ses propres ravages. Oui, je vais vous l’expliquer. Mais prenez cela comme une source d’inspiration, non comme une préconisation !

– Merci Ferdinand. Je vous écouterai avec tout le discernement dont je suis capable.

– Notre problème, pendant très longtemps, fut que notre élite politique et intellectuelle percevait ce qui menaçait l’humanité comme multifactoriel. Notre situation était considérée comme une série de problèmes distincts mais liés.  Les solutions apportées à ces problèmes ne faisaient qu’en générer de nouveaux. Chaque effet avait une cause déterminée par une brûlante arborescence de choix, qui étaient tous mauvais. A chaque feu qu’on éteignait, on générait trois nouveaux départs. On n’envisageait pas qu’il puisse y avoir une solution globale. On préféra s’échapper dans des environnements virtuels et y reconstruire une réalité idéale. Le monde se détériora toujours plus et on tâcha de ne plus y faire attention.

– Oui. Je reconnais le cercle vicieux dans lequel nous tournoyons aujourd’hui.

– Donc personne ne considérait l’existence d’un facteur, un seul, qui en étant légèrement modifié pouvait inverser radicalement l’engrenage dans lequel nous étions pris.

– Mais quel était ce facteur ?

– Peu importe, Bulg, ce qui, en changeant, a permis de tout changer ! Ce qui importe, je vous l’ai dit, c’est comment il a été identifié.  Comment, en 2074, une jeune et brillante scientifique, Zoé Filigran, au prix d’un travail de recherche phénoménal mais aussi et surtout d’un éclair de génie, allait découvrir ce qui devait nous sauver.

– Oui…comment ? 

– On l’appela le « facteur Zoé ». Comme tout avait été tenté. Absolument. Puisque réduire la consommation d’énergie générait des conflits, puisqu’apaiser les conflits générait une surexploitation des ressources, qui à son tour détruisait la biosphère. Comme rien ne fonctionnait. Nos dirigeants de l’époque, impuissants et épouvantés en vinrent à accorder du crédit au « facteur Zoé ». Ce qui eût pu, en temps normal, passer pour d’indécentes élucubrations devint convaincant, puis évident.

– Je vois. Il faut parfois atteindre le fond…

– Pour mieux rebondir ! C’est ça ! D’autres avaient déjà suggéré à de multiples reprises que ce facteur était essentiel au bon fonctionnement de la planète, sans que personne n’y prêtât sérieusement attention. Connaissez-vous ces quelques lignes d’Henri Georges Thoreau issues de son livre : Walden ou la vie dans les bois écrit en dix-huit cent cinquante-quatre ?

– Celles qui sont inscrites dans la constitution terrienne ?

– C’est exact. Après avoir frôlé l’apocalypse, on les fit ajouter au préambule de notre constitution. Prenons quelques secondes pour les lire !»

             Ferdinand appuya sur une touche dissimulée dans le bras du fauteuil. Un globe translucide descendit lentement du plafond et des lettres lumineuses commencèrent à défiler à l’intérieur :

                  « Nos phrases ont besoin d’espace pour déployer et reformer leurs colonnes dans les intervalles de la conversation. Comme les nations, les individus doivent posséder leurs frontières, naturelles et largement calculées, et même un terrain neutre pour les séparer les uns des autres.  Dans le cas des bavards invétérés et des bruyants causeurs, la promiscuité est admissible jusque dans le coude-à-coude et la rencontre des haleines. Mais dès que la conversation implique réserve et réflexion, le besoin se fait sentir d’une distance qui puisse neutraliser cette chaleur et cette moiteur animale .»

                  Ferdinand prit l’air pensif. « Quel génie visionnaire ! »

– Je ne suis pas sûr de saisir. J’avoue que le concept d’« haleine » m’est un peu étranger…

– La proxémique ! Connaissez-vous cette discipline qui consiste à étudier les relations entre les individus à travers leur manière d’occuper l’espace ? Aujourd’hui elle est incontournable. A l’époque, elle n’était qu’une frêle brindille conceptuelle accrochée à la branche de l’anthropologie, perdue dans l’arbre des sciences.

– Non je n’y connais rien.

– Pour comprendre, il faut remonter encore plus loin. Cela peut paraître obscur, mais vous allez voir. Avant d’étudier l’imperceptible dynamique qui se crée en permanence entre l’humain et l’espace qu’il occupe, certains avaient déjà compris beaucoup de choses. Prenez Hediger !

– Qui ça ?

– Heini Hediger, biologiste et directeur du zoo de Bâle au début du vingtième siècle. Il avait passé un temps considérable à étudier les pélicans.

– Les pélicans ?

– Tout à fait ! Les pélicans : ces oiseaux au vol lourd et au bec épais. Regardez là-bas, on en aperçoit quelques-uns au fond de la terrasse. Ils font sécher leurs plumes dans la brise tiède. Eh bien, observons-les ensemble. Dites-moi ce que vous voyez.

– Hum. Ils sont tous perchés sur la balustrade, ils paraissent tranquilles. J’en compte sept.

– C’est cela. Ils sont sept ! Les pélicans vivent en groupes. Ils nichent et dorment à l’intérieur de leurs colonies, comme les humains. Au Moyen-Âge, en Europe, on racontait qu’un pélican était prêt à nourrir ses enfants de sa propre chair s’il le fallait. Il était symbole d’abnégation. Rapprochez-vous un peu, que remarquez-vous ?

– Ils ont de long cous flexibles, comme le mien. Ils se brossent les plumes du dos avec leurs grands becs…je suppose qu’ils sont en train de se reposer.

– Ils sont au repos oui. Mais regardez entre eux. Que voyez-vous ?

– Entre eux ? Je vois du vide.

– Oui mais pas n’importe quel vide !

– Comment ça ?

– Le vide qu’il y a entre chaque oiseau est toujours le même ! Ils se tiennent tous à la même distance les uns des autres ! Heini Hediger a réalisé que cet espace d’environ cinquante-cinq centimètres entre chaque pélican et ses congénères ne varie pas ; qu’ils soient en plein vol, en train de flotter à la surface de l’eau ou alignés sur le bord d’un mur. Chacun respecte l’espace vital de l’autre ! Peut-être à cause de l’envergure de leurs ailes, ou bien pour prendre la fuite en cas de danger, sans se percuter, ou pour des questions d’aérodynamique.

– L’espace vital ?

– Oui, l’espace vital. Le bon espacement pour une espèce, celui qui permet à l’individu de réaliser une chaîne d’actions nécessaires à sa survie. Et c’est pareil pour les mouettes ! C’est ça le facteur déterminant dont Zoé Filigran eut la révélation. Le petit paramètre qui sauva l’humanité. L’espace. Vital. Celui des hommes était déréglé !

– L’espace vital était déréglé…

– Ce n’est peut-être pas le cas sur Suk.

– Effectivement, le « vide » tel que vous l’entendez ici ne saurait être perçu comme « vital ». Vous savez, l’antimatière circule librement chez nous. Je ne suis pas sûr que ce soit pour le mieux mais sa consommation est fort appréciée, depuis des millénaires…

– Sur Terre, on comprit que l’homme et son environnement se façonnaient réciproquement. Le premier l’organisait, l’autre définissait sa posture. En fonction du degré de proximité entre deux humains, leur relation évoluait d’intime à décontracté, de décontracté à formel, de formel à glacial… son état de santé, ses décisions, son comportement, tout en découlait ! L’insuffisance d’espace le rendait malade ou agressif et à l’inverse l’excès le rendait fou. A cette époque les distances étaient à la fois rendues insondables par les outils numériques et atrocement réduites par la promiscuité sociale. En rectifiant cet espace, tout pouvait changer !

– Je vois. Mais comment avez-vous pu mettre en œuvre une théorie pareille ?

– Excellente question ! Une fois cette transaction permanente entre l’homme et son environnement passée au crible, on identifia les métriques et on procéda aux ajustements sociétaux nécessaires pour changer le sens de l’Histoire. Les distances de base furent estimées à trente-deux centimètres à l’intérieur d’une famille, quarante-trois centimètres en dehors du cercle familial et soixante-treize pour de stricts inconnus. On déclina ce modèle avec quelques variantes culturelles car entre les pays du Nord et les pays du Sud, les comportements divergeaient. Toutefois les différences restèrent minimes. Il fallait que les humains du monde entier changent durablement d’attitude. Pour que les populations adhèrent au projet, il fallut une génération. Une génération qui naquit dans des cliniques dont les berceaux respectaient scrupuleusement les distances préconisées et que le personnel médical manipula avec d’immenses précautions. Dans les crèches et les écoles, on fixa le mobilier au sol, on apprit des comptines aux enfants » Ferdinand prit une petite inspiration et se mit à chantonner :

« Je te vois / plus près que trois bras / Plus loin que deux mains / Et on est copains ! 

Une fois cette génération arrivée à l’âge adulte, on observa les premiers changements.

– Que furent-ils ?

– Tout d’abord, cette génération fut en bien meilleure santé, puisque les virus circulaient plus difficilement entre les individus. Débarrassés des épidémies, la recherche et les systèmes de santé s’améliorèrent. Ensuite on observa une légère et constante baisse de la natalité. Dans les jeunes couples, chacun avait une pièce pour lui et les contacts physiques étaient plus épisodiques ce qui réduisit la fréquence…enfin, vous me comprenez…

– Bien sûr ! Sur Suk aussi, on se reproduit en éternuant. Les gamètes se disséminent dans l’atmosphère et…

– Oui. Bon. Bref. Les relations à l’intérieur des couples s’améliorèrent, le dialogue fut plus facile et on constata également une diminution des violences physiques dans les familles, ce qui fit de la génération suivante une génération encore plus pacifique.   En outre, les notions de genre qui normaient strictement les humains et créaient de la souffrance pour beaucoup, s’effacèrent peu à peu et chacun put vivre sa sexualité comme il l’entendait.

                  Au bout de cent ans, le principe d’espace vital s’était généralisé puisqu’il y avait moins d’êtres humains sur la planète. On commença alors à travailler sur le partage de l’espace avec les autres formes de vie. Les grandes métropoles s’étalèrent et se fondirent dans la nature. On ressentit de moins en moins le besoin de s’évader à travers des écrans ou dans des metavers.

                  En résumé, il y eut de la place pour tous. Dans les transports, dans les villes, sur les lieux de travail, partout, on déploya la règle des trois distances. Chaque meuble fut disposé avec une précision scientifique dans chaque pièce de chaque espace de vie en fonction de son usage. Tous ces aménagements n’étaient pas cruciaux parce que l’individu cherchait spontanément à préserver sa « bulle ». Mais cela maintint le système en place.

                  D’autres bénéfices suivirent : en milieu professionnel, les tensions disparurent, les rendements furent meilleurs et le partage des bénéfices se mit en place sans la moindre intervention des Etats.

– Baisse des tensions, oui. Mais l’environnement et le climat ?

– Oui, j’y viens. Voyez-vous, en ce qui concerne l’environnement il subsistait une incertitude. Il était évident pour les générations précédentes qu’il fallait mutualiser les déplacements, par exemple, pour dépenser moins d’énergie. Renoncer, peut-être, aux latrines individuelles pour utiliser moins d’eau. Mais cela ne marchait pas. Et avec le paramètre Zoé on fit l’inverse. On empêcha la mise en commun.

– Et que se passa-t-il ?

– Un miracle ! On l’a appelé l’ «effet Pélican» : Parce qu’il était dorénavant responsable de son espace personnel, l’homme se mit à en prendre soin !  Il prit conscience de l’impact de chacune de ses actions sur le rayon de quatre-vingt-six centimètres dont il était le centre. Tous les déchets qu’il y jetait le salissaient. Toutes les odeurs qui y pénétraient l’indisposaient. Il s’agissait de son espace à lui, pas d’un espace collectif dans lequel des agents publics allaient intervenir pour réparer les dégâts ! Au lieu de rejeter la faute « sur les autres, sur le reste du groupe, sur le gouvernement », ces entités abstraites qui dans le fond ne faisaient pas grand-chose ; ou d’observer le comportement du voisin avec des « puisqu’il ne fait pas correctement, alors à quoi bon se donner du mal », L’homme se rendit compte que sa zone de vie était son bien le plus précieux et il mit tout en œuvre pour la protéger. Il cessa d’utiliser des moyens de transport polluants – Il était devenu mille fois plus important d’arrêter de respirer du gaz carbonique que d’impressionner les autres avec la dernière voiture à la mode. Il cessa d’absorber des aliments toxiques et par là même d’écouter les marchands de perlimpimpin et d’acheter leurs produits inopérants. Il se tint éloigné de toutes les formes d’ondes susceptibles de lui traverser le cerveau et utilisa des systèmes de communication plus naturels.

                  On ne céda plus aux pressions sociales. On s’écouta soi-même. Au bout de trois cents ans, il n’y eut plus aucune tension raciale ou politique, plus de guerre, les ressources étaient parfaitement redistribuées, la compétition sociale avait cédé la place au dialogue. Comme je vous l’ai dit, il y avait de la place pour tout le monde et personne n’en doutait. L’humanité entière décida unilatéralement de renoncer aux industries polluantes, à l’énergie nucléaire et au plastique, sans aucune incitation de la part des gouvernements. Chaque être humain, en son âme et conscience, depuis l’intérieur de sa bulle, prit lui-même cette décision qui allait sauver tout l’écosystème.

– Incroyable !

– N’est-ce pas ? L’environnement façonnait l’homme autant que l’homme le façonnait. Avec plus d’espace, il pouvait s’entendre et en s’écoutant il le préserva.

– Mais vous ne m’avez pas dit grand-chose de cette Zoé Filigran. Comment a-t-elle eu cette révélation ?

– Ah, c’est une légende qu’on se raconte en souriant. Zoé était encore jeune et commençait tout juste ses études. Elle était dans le métro, ce système de transport ancestral dans lequel on était assis les uns à côté des autres, se touchant presque. C’était un jour de forte fréquentation, alors que le dérèglement climatique faisait ressentir ses effets. Il faisait une chaleur intense, moite. Zoé était fatiguée. Elle choisit de s’assoir sur un strapontin et se retrouva, comment dire, fort encombrée par les jambes d’un monsieur…

–  ?

– …qui, hem, voulait garder les joyeuses à l’aise. »  Ferdinand joignit le geste à la parole avec un petit rire gêné.  Bulg rétracta intuitivement ses quatre paires de bras à l’intérieur de son torse.

Claire BerQuat

Nouvelle lauréate du concours de nouvelles d’unmondemeilleur.info

Partager :